Coup d’œil #05
#transitionécologique

Sublimes routes du Vercors

Les Sublimes routes du Vercors, c’est un programme de développement touristique porté par plusieurs institutions(1) rassemblées au sein du collectif « Inspiration Vercors ». C’est une « mise en valeur » du patrimoine local qui repose sur la construction de 17 infrastructures pour un coût total estimé à 22,3 millions d’euros(2). Enquête sur l’architecture de ce projet gargantuesque et les effets en cascade qu’il implique.

Du parc naturel à la nature parquée

Concrètement, il s’agit d’aménager le bord des routes pour assurer toutes les commodités au touriste en quête de sauvage, sans que celui-ci ne s’éloigne trop de son véhicule. Sur le site internet des architectes et paysagistes mandatés(3), on découvre les esquisses des futures constructions : trois plateformes encerclent les rochers du col de la Bataille, des rambardes guident les vacanciers en toute sécurité. Aux Grand Goulets, une longue passerelle se terminant par une baie vitrée de 3 mètres de hauteur est suspendue à la falaise. Le regard ébahi est transporté vers l’immensité de la vallée, que les volatiles ont déserté sous le vacarme incessant des bolides. Bien sûr, des parkings répondent à l’afflux des visiteurs. Adieu les amas désordonnés de véhicules le long de la D199 : les S.U.V. et autres camping-cars high tech patienteront désormais en rangs d’oignons, tandis que leurs passagers consommeront du paysage à quelques mètres de là, avant de reprendre leur éternelle quête de spectaculaire.

L’ensemble du Royans Vercors est quadrillé dans ce circuit routier, qui transforme ce qui était un maillage de territoires vivants en attractions paysagères. Le scénario vendu par les institutions s’attache à guider le vacancier motorisé de scènes pittoresque en étendues sauvages, à traverser héroïquement plateaux et contreforts (tout en faisant usage de son pouvoir d’achat dans les communes traversées). Les routes sont décrites comme des « patrimoines naturels », les paysages et la culture vertaco deviennent des images de marques à promouvoir internationalement.

Sur la National Scenic Route en Norvège : le Geiranger Skywalk est équipé de toilettes et d’une boutique souvenir.

Bientôt, un alpage en démonstration au bord de la D76 ? Des jongleurs·euses de ravioles pour patienter au feu rouge de Sainte-Eulalie ou dans les embouteillages de Pont ? Suite logique de cette folklorisation du territoire.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Ce projet s’inscrit dans un système de consommation touristique, où les zones de divertissement sont standardisées. Que l’on soit sur ces futures routes mégalos ou sur l’une des 18 National Scenic Routes(4) en Norvège, les infrastructures sont identiques : elles répondent à des normes esthétiques et économiques bien rodées par leurs constructeurs. C’est tout un modèle de muséification du territoire qui se déploie, et qui amène avec lui une gestion du paysage « carte postale ». On contrôle et on façonne à souhait, pourvu que le résultat soit lucratif.

Meutes motorisées et faune fantôme...

Bien avant ce circuit touristique, le vacarme des bolides remplace déjà le chant du vivant. Les moteurs rugissent à chaque virage et l’écho des cylindrées se répand dans chaque vallée.

Le témoignage de R., une observatrice aguerrie, atteste de la fuite de plusieurs espèces suite aux nuisances sonores et à la sur-fréquentation des sites, dont des couples d’Aigles Royaux et de Grands Ducs. Oiseaux, mais aussi insectes, amphibiens et mammifères sont impactés par ce projet : quand les sons permettent aux uns de se diriger ou de chercher de la nourriture, ils permettent aux autres de défendre leurs territoires, d’attirer un·e partenaire, etc. Alors, lorsqu’il n’est plus possible d’entendre et de se faire entendre, eux aussi se mettent à parcourir des kilomètres, en quête d’habitats plus calmes.

Quant aux humains, il suffit d’ouvrir la conversation en terrasse de café pour constater leur exaspération. À l’image d’Agnès, habitante de Saint-Jean, on se surprend à apprécier les jours de brume ou de fortes pluies : « Ce sont les seules choses qui parviennent à leur clouer le bec ». Que l’on soit sur les plateaux ou dans le Royans, la quiétude de nos environnements quotidiens disparaît petit à petit. La narration qui enrobe le projet se garde bien de mentionner son bilan carbone, l’artificialisation des sols ou l’augmentation des niveaux de décibels qu’il entrainera…

Les 17 sites d’intervention, d’après l’étude commandée par la Drôme et réalisée par Folléa Gautier, en 2019.

Pourtant, au même moment, le Parc Naturel du Vercors rédige sa nouvelle charte qui se veut garante de la protection du territoire. Parmi les intentions avancées, il y a la préservation d’un « cadre de vie favorable à la santé des Hommes et des milieux naturels » ou encore la limitation de « l’utilisation des véhicules motorisés à des fins de loisir »(5). En parallèle, la communauté de communes Royans Vercors signe un Contrat de Transition écologique, dont l’une des orientations est de « révolutionner les mobilités rurales et touristiques pour s’affranchir des produits pétroliers et diminuer les émissions de gaz à effet de serre »(6). Les incohérences entre les discours et les actes sautent aux yeux : entre désolément et agacement on ne sait plus sur quel pied danser.

…pour vallées sinistrées.

Quand je demande à mes voisins de café ce qu’iels feraient de ces millions d’euros, les réponses fusent : « La rénovation du pont du tram », « Des pistes cyclables sécurisées », «  Un réseau de transport collectif  », «   L’installation de maraîchers municipaux  », « Une cantine bio  », etc. Mais plutôt que de réfléchir ensemble à la résilience du territoire, le collectif Inspiration Vercors a préféré promouvoir un modèle économique et une offre de services tournés vers le pouvoir d’achat des futurs visiteurs. À l’été 2021, il est donc encore possible de faire l’autruche sur la toxicité du tourisme de masse motorisé, et d’y consacrer 22,3 millions d’euros. Les Petits Goulets seront bientôt les tristes témoins de cette arrivée galopante. Pas de belvédères ni de passerelles ici, mais un abaissement de 40 cm de la chaussée : juste ce qu’il manquait aux autocars de deux étages pour s’engouffrer dans cette croisière routière. Dès septembre 2021, les travaux vont démarrer et transformer la vallée d’Échevis en vallée sinistrée, comme nous le racontent certain·es de ses habitant·es page suivante.

Sources :

  1. Le collectif : départements de la Drôme et de l’Isère, Parc Naturel Régional du Vercors, les 6 communautés de communes concernées, la région.

    2 Chiffres de la Drôme (Département).

    3 Cabinet d’architectes Big Bang et Agence de paysagistes Folléa Gautier.

    4 Où 90 belvédères ont été construits sur 1850km, sur le même modèle de « routes panoramiques ».

    5 Mesures 1.2 et 1.3, citation p.35, dans le projet de charte du Parc du Vercors, disponible sur le site internet du PNRV.

    6 Programme disponible sur le site internet de la CCRV.

    Cet article est extrait du journal indépendant du Royans « l’Effeuillé » n°6.


    2 commentaires

    Faure · 30 octobre 2021 à 14 h 38 min

    Dépitée…

    Maud · 13 décembre 2021 à 19 h 02 min

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