Coup de cœur#20
#transitionécologique
Une industrie nucléaire sous haute protection
L’auteure fait l’historique très détaillé de la construction du parc nucléaire français et du mouvement antinucléaire qui l’a accompagnée. Si dans les années 70 la contestation était forte, les promoteurs de l’industrie nucléaire ont rapidement déployé tous les moyens possibles pour réduire l’impact de cette remise en cause. Les écologistes ont été caricaturé·es en chevelu·es-barbus, partisan·es du retour à la bougie, tandis que de coûteuses campagnes d’information faisaient la promotion d’une énergie moderne, abondante, bon marché et garante de notre indépendance énergétique. Les rassemblements antinucléaires sont victimes d’une répression policière qui réduit rapidement la participation des opposant·es, surtout après la manifestation contre la centrale de Creys-Malville où une centaine de manifestant·s ont été blessés et où l’un d’eux a trouvé la mort.
L'avènement du « tout nucléaire »
En 1981, l’arrivée des socialistes au pouvoir et l’abandon du projet de centrale à Plogoff désamorce fortement la contestation. En fait, en mettant en place une politique du « tout nucléaire » ils n’hésitent pas à trahir leur électorat écologiste. La catastrophe de Tchernobyl en 1986 sera l’occasion de confirmer le parti-pris pro-nucléaire du gouvernement dont les services prétendent que le nuage radioactif n’a pas franchi nos frontières. Les dirigeant·es de la filière nucléaire affirmeront dans tous les médias que ce type d’accident est impossible en France, qu’il est la conséquence d’un manque de compétences des techniciens soviétiques. Lors des explosions des réacteurs de Fukushima en 2011 un argument semblable est avancé : « c’est impossible chez nous un tsunami est improbable sur nos côtes. ». Le lobby nucléaire, face à la concurrence des énergies renouvelables, développe une publicité abondante vantant la fourniture d’une électricité continue, peu chère, zéro carbone et sûre, sous la haute surveillance de l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) et les déchets sont entreposés sous bonne garde et sans danger. Cette énergie assurerait à la France son indépendance énergétique.
De leur côté, les antinucléaires dénoncent une technologie gaspilleuse d’énergie, de plus en plus coûteuse : le prix de l’uranium a augmenté de 50% et le « grand carénage » destiné à prolonger la durée des réacteurs est estimé à 48 milliards*. Une énergie pas vraiment décarbonée si l’on prend en compte l’extraction du minerai, le transport et la transformation de l’uranium. Quant à la sûreté des centrales, on peut craindre que les sous-traitants qui assurent la maintenance manquent parfois de formation. Pour finir, la surveillance des sites échappe trop souvent à l’ASN : deux associations indépendantes, l’ACRO et la CRIIRAD détectent régulièrement des rejets anormaux aux abords des centrales, dans le lit des rivières et dans l’air à proximité des sites nucléaires.Quant aux déchets radioactifs, aucune solution satisfaisante n’a été mise en place pour entreposer les 1,64 millions de mètres-cubes existants en 2018. L’enfouissement profond dans le site de Bure n’en finit pas de susciter la méfiance et l’opposition des riverains. C’est chaque année plus de 30000 m3 de déchets qui viennent grossir les parcs de stockage dans l’Aube et la Manche. ***
Les antinucléaires bâillonnés
Le lobby nucléaire est en France tellement puissant qu’il bénéficie du soutien de tous les gouvernements depuis De Gaulle jusqu’à Macron. Les militants antinucléaires sont systématiquement surveillés, toute manifestation est maintenant interdite, les organisateurs accusés d’atteinte à l’ordre public et condamnés à de fortes amendes avec séjour en garde à vue. Les militants de Greenpeace et du Réseau Sortir du Nucléaire en sont les principales victimes. Le dernier chapitre concerne les conditions des travailleurs sur les sites d’extraction du minerai au Niger. On constate que la santé des ouvriers y est gravement mise en danger, que l’eau potable est contaminée et que toute expression ou revendication de la part des syndicalistes est empêchée ainsi que la communication de ces informations dérangeantes à l’international.
Un essai éclairant, plein d’informations souvent tenues secrètes, un ouvrage intéressant et captivant pour qui a un peu de curiosité pour ce sujet.
La situation actuelle
Malgré tout cela, le gouvernement actuel soutient toujours la construction de l’EPR de Flamanville qui devait être réalisé en 4 ans et le sera finalement en 15 ans, entraînant un surcoût six fois supérieur au devis initial ! Le plan de relance oriente également la recherche sur les petits réacteurs…** Avec l’essor et l’engouement pour la watture, les scooters et les trottinettes électriques et l’absence totale de politique de réduction de la consommation d’énergie, on peut prévoir une France suréquipée en centrales nucléaires, barrages hydroélectriques, éoliennes, capteurs photovoltaïques et méthaniseurs, la surconsommation peut continuer, mais jusqu’à quand ?
Sezin Topçu est historienne et sociologue des sciences, chargée de recherche au CNRS.
Sources :
- EDF réajuste le coût du programme Grand Carénage | EDF France
- Canard enchaîné du 13/10
- https://www.vie-publique.fr/eclairage/18465-nucleaire-comment-traiter-les-dechets…
Ce livre est disponible sur le site leslibraires.fr ici !
La France nucléaire, l’art de gouverner une technologie contestée, Sezin Topçu
Éditions du Seuil, 2013,
334 pages – 21 €
1 commentaire
Denys Calu · 23 décembre 2021 à 19 h 34 min
Ce 21 Décembre 2021 on signal une fuite radioactive dans les eaux souterraines de la centrale de Tricastin :
https://www.ledauphine.com/environnement/2021/12/21/centrale-nucleaire-du-tricastin-une-fuite-radioactive-dans-les-eaux-souterraines