Interview de Chérifa

Tu es une citoyenne romanaise et tu t’es beaucoup investie lors des dernières élections législatives pour le nouveau front populaire et surtout contre l’extrême droite. Peux-tu nous raconter quelle forme a pris ton engagement ?

J’ai voulu avoir un engagement concret, aller à la rencontre des gens dans l’espace public.

J’avais besoin d’un support, d’un point de départ pour discuter. J’ai vu un certain nombre de documents circuler sur les réseaux, qui m’ont semblé très instructifs, notamment sur qui vote quoi à l’assemblée nationale. Cela m’a paru plus parlant que de longs discours. Les faits parlent d’eux-même ! J’ai donc récupéré un vieux paravent et y ai collé de la documentation sur différents sujets politiques « qui a voté quoi », des infographies sur l’évasion fiscale et la fraude sociale en France et en Europe, et quelques belles affiches du NFP. Et aussi une documentation sur le RN, Bardella et leurs liens avec les mouvances néo-nazis et identitaires.

Mon objectif était principalement d’échanger avec les gens dans l’espace public, d’entendre leurs arguments quant à leur choix de vote, de démasquer les impostures du RN qui prétend défendre une politique sociale au service des plus démunis ou de ceux qui ont l’impression d’être les laissés-pour compte de la politique. Mais il n’en est rien ! Et d’apporter une information sourcée pour contrer les discours très orientés des médias de droite et d’extrême-droite.

Les documents choisis étaient plus axés sur les questions économiques que sur le racisme. Non que cela me semble pas important, mais je n’ai pas la prétention de convertir des personnes racistes en 10 minutes de discussion sur le trottoir ; je n’ai pas ce super pouvoir hélas !

Quand des personnes me disaient qu’elles souhaitaient voter pour le RN, je discutais avec elles sans jugement. Je leur demandais les raisons de ce choix. Quand elles évoquaient des raisons socio-économiques, service public, soutien aux agriculteurs, impôts, salaires… je leur montrai ce que le RN avait réellement voté sur ces sujets à l’assemblée nationale et qu’ils votaient systématiquement contre des mesures sociales ou s’abstenaient au côté de la droite et des macronistes sur ces sujets.

J’ai posé mon paravent sur de nombreux espaces publics : lors des réunions de quartier organisées par la municipalité, aux marchés de Romans et d’Hauterives, devant Marques Avenue, Super U, devant la gare de Romans, des sorties d’écoles, le théâtre des Cordeliers, etc. J’aurais aimé tracté en sortie d’église et parlait des valeurs de l’Evangile, mais je n’ai pas eu le temps ! J’ai pu discuter et échanger en profondeur avec environ 60 personnes dont 2 personnes qui pensaient s’abstenir et sont finalement allées voter.

Mais, cela a parfois été compliqué… Alors que j’étais sur l’espace public, j’ai eu plusieurs tentatives d’intimidation de la municipalité (notamment du directeur de cabinet de MH Thoraval), de la police municipale, de la directrice de marques Avenue, d’un agent du théâtre des Cordeliers…

Qu’est-ce qui t’anime, qu’est-ce qui te plaît dans cette forme de militantisme ?

Ce qui m’anime, c’est le sentiment de renouer avec la démocratie qui me paraît en voie de disparition, parce que je m’invite dans l’espace public pour recréer un espace d’échanges et de débats sur la vie de la cité. C’est de la sociologie de terrain. Avec les échanges, j’ai pu comprendre ce qui motivait les choix des gens. Cela permet de prendre la température de la société dans laquelle on vit. J’ai entendu des discours racistes, complotistes, des gens qui ne croient plus du tout en la politique.

Ce qui me tient à cœur c’est d’aller à la rencontre des gens et de permettre un espace de paroles et d’échanges, d’entendre ce que chacun·e a à dire, même si on n’est pas du même avis. Et aussi défendre des valeurs qui me sont chères : liberté, égalité et fraternité mais en se questionnant sur le sens réel de ces mots. Est-ce qu’on est encore dans une société égalitaire, fraternelle et libre ? Quand on me demandait avec méfiance quel parti je défendais, je répondais que je défendais la justice sociale, l’humanisme, parce que c’est ce qui m’anime !

Le 30 juillet 2024, tu as été convoquée au commissariat de police. Peux-tu nous raconter l’historique de cette convocation ? Ce qui t’était reproché ? Comment ça s’est passé ?

Je m’attendais à être convoquée car deux jours avant la fin officielle de la campagne de second tour, j’étais devant Marques Avenue, sur la voie publique, avec mon paravent. J’ai eu un échange avec la directrice de Marques Avenue qui voulait me faire partir. Comme j’étais sur la voie publique, j’ai refusé. Elle a appelé la police municipale. Ils sont venus. Ils sont restés à m’observer pendant environ 1h30. Ils avaient un regard hostile. J’ai continué à tracter et à discuter avec les gens avec le sourire.

Un officier de police judiciaire est ensuite arrivé et m’a soumise à un contrôle d’identité. Quand j’ai demandé pourquoi, il m’a dit que je n’avais pas le droit d’afficher de croix gammées sur la voie publique. J’ai été bien sûr très surprise.. Sur un de mes affichages qui dénonçait les accointances entre Bardella et les mouvances néo-nazis, il y avait une croix gammée dans une bulle de BD exprimant ses pensées. J’ai dit que je ne savais pas que je n’avais pas le droit de le faire. J’ai demandé l’article du code et on me l’a donné.

c’est l’article R645-1 du Code Pénal qui stipule qu’”est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe le fait, sauf pour les besoins d’un film, d’un spectacle ou d’une exposition comportant une évocation historique, de porter ou d’exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant les uniformes, les insignes ou les emblèmes qui ont été portés ou exhibés soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, soit par une personne reconnue coupable par une juridiction française ou internationale d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité.”

Pour le coup, je ne pense pas que mon affiche donnait une vision positive de la croix gammée et des idées de haine qu’elle véhicule ! C’était une dénonciation et j’appelais à faire barrage ! Le policier a dit qu’il allait me confisquer les affichages. Devant mon refus, il n’a pris que celui sur lequel il y avait une croix gammée. Il a pris des photos et m’a demandé combien de temps je comptais rester. Je lui ai répondu que légalement jusqu’au lendemain minuit, fin de la campagne ! Ils ont fini par partir et je suis restée.

J’ai reçu ensuite une convocation par courrier avec pour motif “diffamation envers particulier”. J’ai demandé qui portait plainte contre moi, qui était le « particulier ». On m’a répondu que c’était le parquet. La policière est restée très évasive. Au début, elle m’a fait la morale en me montrant l’affichage et en me demandant des explications.

J’ai été très pointilleuse sur la procédure et ai réfuté l’incitation à la haine et la diffamation, car j’étais en mesure de justifier par des faits objectifs la véracité des relations entre Bardella et des néo-nazis, fruit d’une longue enquête journalistique de Pierre-Stéphane Faure “Le grand remplaçant, la face cachée de Jordan Bardella”. J’ai refusé de signer le PV, je n’ai pas eu de copie et ils ont pris mes empreintes avec comme motif de fichage « discrimination ». Ils m’ont dit qu’ils allaient transmettre au parquet de Valence et m’appelleraient la semaine suivante pour me dire les suites. Ils ne m’ont jamais rappelée et je n’ai aucune nouvelle depuis.

Quelles suites envisages-tu ?

Je veux demander la copie de la procédure pour vérifier que ce n’était pas une procédure abusive, une tentative d’intimidation pour me ficher et me faire peur.

Ils auraient pu me faire un simple rappel à la loi, même si l’interprétation de l’article du Code Pénal était très discutable.

Je réfléchis aux suites à donner.

Catégories : Non classé

0 commentaire

Laisser un commentaire

Emplacement de l’avatar

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *