Interview de Léa
Léa*, 23 ans, étudiante, habite depuis 9 ans dans un village aux alentours de romans, racisée
* Le prénom a été changé à la demande de l’interviewée
Cela fait 9 ans que tu habites dans un petit village proche de Romans, as-tu été confrontée à des actes et/ou paroles racistes ?
Non, je n’étais pas très en contact avec les autres habitants au début. Puis, il y a eu une réunion de conscrits et j’ai rencontré les autres jeunes de mon âge. J’ai été bien accueillie ; mais j’ai été surprise de l’état d’esprit des gens qui étaient très conservateurs, très fermés. Et sur le ton de la rigolade, des paroles racistes, homophobes, se moquer des personnes en situation de handicap, mais pas contre moi. Mais, ça me dérangeait.
J’avais 17 ans. Je ne me positionnais pas forcément par rapport à ça. Quand j’étais au collège, j’étais allé dormir chez une copine. Son père me demande si je suis syrienne. Je lui dis non. Il répond « ouf, parce que les arabes, ça dort dans la niche ». Du coup, même si je n’avais plus faim, je me suis sentie obligée de prendre de la pizza au jambon comme pour prouver quelque chose… Cela a été assez douloureux.
Avec ton groupe d’ami·es, tu étais présente au bal de Crépol le 19 novembre 2023, comment as-tu vécu ce drame ? Quel impact cela a eu sur ta vie ?
On y est allé vers 22h30. On était 8 et on est rentrés petit à petit. Les personnes avec qui j’étais on dit en voyant des jeunes, de type maghrébin, se garer à côté d’eux. « C’est des « rats », depuis quand les rats ont le droit de venir ? ». Les vigiles nous ont fouillés à l’entrée.
On était au bar. Je n’ai pas vu ce qui s’est passé à l’extérieur. On a vu des jeunes arriver en sang en criant qu’il y avait des coups de couteau. La salle a été fermée par les vigiles. On était confiné et c’était très angoissant et déconcertant car on ne savait pas ce qu’il se passait. Des parents tapaient aux portes pour récupérer leurs enfants. Les pompiers sont arrivés.
Très rapidement, des jeunes tapaient dans les murs en disant que c’était toujours les mêmes qui foutaient la merde et qu’il fallait tous les tuer. Tout de suite, j’ai entendu des remarques racistes. On est sortis par une porte à l’arrière vers 3h du matin. On est rentré chez nous. On ne savait plus où on habitait. J’étais complètement apeurée et déboussolée. C’est le lendemain que j’ai appris la mort de Thomas. J’ai sollicité la cellule psychologique mais ils étaient débordés. 2 semaines plus tard, il y avait un groupe de parole dans une salle des fêtes à Peyrins, mais je n’y suis pas allée. J’avais pas envie de me retrouver à nouveau dans une salle des fêtes. J’avais peur d’entendre des choses que je n’étais pas prête à entendre, des paroles racistes.
J’étais prise entre ma colère contre ceux qui ont tué Thomas et ma colère contre l’explosion du racisme autour de moi, sur les réseaux sociaux, dans les médias. On ne pouvait plus discerner le vrai du faux. J’étais en colère contre les journalistes parce qu’ils pointaient les origines des agresseurs et stigmatisaient le quartier de la Monnaie.
Très rapidement, l’extrême-droite s’est emparé de cela et il y a eu une descente de ces derniers à la Monnaie. J’ai ressenti de la colère et de la peur. J’ai été entendue par la police plusieurs mois après.
Depuis ce drame, as-tu été témoin ou victime d’actes et/ou paroles racistes ? As-tu l’impression que le climat a changé et que ce type d’actes/paroles est en augmentation ?
Les échanges avec mon groupe d’ami·es sont devenus assez électriques à cause de la stigmatisation de la Monnaie. Ça a généré des tensions entre nous. Quand Zemmour est venu, ça a remis une pièce. Et puis, il y a eu le décès de Nicolas. On a fini par arrêter d’en parler. On n’était plus capable de prendre du recul et d’accepter le point de vue de l’autre. Ça nous a vraiment divisés. C’est l’entourage de mon copain. Je ne les vois presque plus.
Le racisme est devenu complètement normalisé. Ils en sont fiers. J’ai l’impression d’être une intruse par rapport à mes idées. Comme je suis la petite copine d’un local, j’ai l’impression d’être acceptée. Mais je ne suis pas sûre que ce serait le cas, si je n’étais pas sa copine. Je ne suis pas sûre qu’ils aient beaucoup d’empathie. Ils n’ont pas l’impression que cela me concerne, que cela peut me blesser, car moi ils me connaissent.
Un jour à la cantine du collège où je travaillais je me suis servi une assiette de salade de pâtes avec du jambon, un membre du personnel m’a dit “Y a du porc Mademoiselle !”, “Oui, je sais”, “Mais je pensais que vous ne mangiez pas de porc”. Cela m’a dérangé qu’on présuppose ma religion en fonction de ma tête. Cela ne m’était jamais arrivée.
As-tu vécu également un changement lors de la dernière période électorale ?
Oh oui, le racisme s’est encore plus libéré ! Sur les réseaux sociaux, dans les gens que je croisais, que je connais. C’était totalement décomplexé ! Encore cet été, ils ont envoyé des vidéos avec des drapeaux français avec en commentaires « dehors les arabes » en chantant la marseillaise. Ça fait 5 ans que je les côtoie et cela n’avait jamais atteint ce niveau : ils sont complètement décomplexés. Le racisme est devenu la norme !
Comment te sens-tu face à tout cela ?
J’ai beaucoup réfléchi aux personnes que je fréquentais. C’est plus possible pour moi de les voir. Je me sens mal avec eux car je baigne dans des paroles racistes. C’est pas que les jeunes, c’est tout le monde dans ce village. Tous les clichés, bar, chasse, rugby… ils ne vivent pas dans la diversité. Ils ne fréquentent que des personnes de leur village et en sortent rarement. Crépol a été un point de bascule pour que ça s’exprime complètement. Mais avant Crépol, ils votaient déjà en grande majorité pour l’extrême droite.
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