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Hénin-Beaumont : une source d'inspiration pour Romans ?

Au mois de mai, tentant d’organiser des événements fédérateurs malgré les règles sanitaires, le Collectif pour Romans a invité Marine Tondelier à partager ses réflexions dans une visioconférence extrêmement instructive pour découvrir ce qu’est le quotidien d’une élue d’opposition à Hénin-Beaumont, dans une ville aux mains du Front (puis Rassemblement) National depuis 2014. La conférence (et le livre : Nouvelles du front, éditions Les liens qui libèrent, 2017) de Marine Tondelier sont effarants et nous montrent les pratiques de l’extrême droite au pouvoir au quotidien. Toute ressemblance avec des personnages existants n’est pas du tout fortuite.

Parachuté par le PS à Hénin-Beaumont,Gérard Dalongeville a endetté la ville et été révoqué de ses fonctions en 2009 puis condamné en 2013 à quatre ans de prison, (dont trois ferme), à 50 000 euros d’amende pour détournements de fonds publics et à la privation de droits civiques pendant 5 ans. Son équipe, restée pour diriger la ville, a été très impopulaire car elle a dû augmenter la taxe d’habitation (+ 85%) et a fait vivre une période de grande austérité à la ville (“On était même ric-rac niveau papier dans les imprimantes”, raconte un chef de service de l’époque). L’équipe a réussi à renflouer les dettes et… c’est là que le Front National, parti vautour choisissant bien sa proie, est arrivé, jouant les sauveurs, les grands princes et, une fois élu, rouvrant facilement les vannes des dépenses puisque les dettes avaient été résorbées…

C’est dans ce contexte de ville choisie pour en faire une vitrine du Front National que Marine Tondelier, native d’Hénin-Beaumont,  y est devenue jeune élue (EELV) d’opposition, en 2014.

Tous les indicateurs de l’extrême droite au rendez-vous

Marine Tondelier, amère, se souvient de cette accession au pouvoir :

  • Une période de séduction au sein de la mairie tout de suite après les élections, où les élu·es demandaient même les employé·es en amis facebook… pour identifier les personnes qui n’avaient pas les mêmes opinions qu’eux·elles ;
  • La surveillance des employé·es, incitation à la délation (la mairie reprochait aux employé·es de dire bonjour aux élu·es de l’opposition, le droit de réserve était évoqué pour sermonner un employé d’avoir liké une photo de l’opposition, des textos inquisiteurs envoyés à une employée qui venait de mettre un commentaire sous une publication des élu·es de l’opposition…). Petit à petit, les outils de travail sont mis sous surveillance et, dès 2019, la vidéosurveillance est installée… dans l’hôtel de ville. L’ambiance au travail en est durablement affectée, chacun·e a peur, chacun·e se méfie de l’autre, et en même temps un management de la terreur est instauré (déménagement inopiné des services, harcèlement de certain·es employé·es, mutations,  intimidation, politique du bouc émissaire, convocation d’une équipe pour prendre un·e collègue en défaut, agents à qui on enlève progressivement des responsabilités…) ;
  • Le départ de nombreux cadres, certains de leur propre chef, d’autres poussés vers la sortie ;
  • Le copinage dans les nouveaux recrutements, quitte à recruter des personnes non compétentes ;
  • Les signaux envoyés aux habitant·es qui auraient eu la velléité de s’engager contre la nouvelle municipalité (la ville est allée jusqu’à fustiger la création d’un collectif de citoyen·nes en publiant des “alertes au faux collectif”), afin que les gens intériorisent que… c’est mieux de ne pas bouger ;
  • Les méthodes employées pour faire taire les voix des acteurs locaux, citoyen·nes, associatifs, élu·es, qui s’organisent pour lutter : dissuasion des citoyen·nes de parler aux “opposant·es”, chaque mois une page entière du journal municipal étrille les élu·es de l’opposition… ;
À Hénin-Beaumont, quand la mairie plante une fleur, 50 personnes s’extasient… et ne voient pas que la moitié des gens sont exclus du facebook de la ville.
Marine Tondelier
Élue d'opposition à Hénin-Beaumont
  • La diffamation est de mise : les victimes potentielles sont toutes les personnes qui osent contredire la municipalité ! Par exemple, critiquée par le journal local, la ville est allée jusqu’à organiser une campagne pour enjoindre les gens à se désabonner de La Voix du Nord. Une page Facebook anonyme est mise en place, -“la Voix d’Hénin-, pour harceler ou diffamer les élu·es de l’opposition, les syndicalistes, les journalistes (y compris faire des attaques sur leur physique). Cette page anonyme publie instantanément  les enregistrements vidéo de la municipalité, elle relaie les publications et Steeve Briois et elle est  likée par les élu·es du RN ;
  • Marine Tondelier est aussi outrageusement victime de cette diffamation, dans un langage grossier et fleuri…  avec, souvent, des paroles insultantes ;

Un vrai règne de la peur a vu le jour.
Marine Tondelier
Élue d'opposition à Hénin-Beaumont
  • La culture est malmenée : concerts gratuits des Forbans, de Chantal Goya ou de Jennifer (là où d’autres villes FN instaurent des festivals d’humour) ;
  • Deux poids, deux mesures pour les attributions de subventions et de salles pour les associations : la Ligue des Droits de l’Homme a été sommée de quitter son local, locaux refusés aux associations qui refusent la mise au pas du FN, subventions versées en retard, responsables associatifs qui jettent l’éponge, à l’inverse pour la mère de Steeve Briois, Marie-Christine Duriez, présidente de l’association Temps de Vivre, tout se passe bien ;De nouvelles clauses sont ajoutées aux conventions signées par les associations, qui leur demandent de remercier la mairie dans leurs allocutions, de faire apparaître le logo de la ville dans leur communication ; 
Le plus triste pour la commune, c’est de constater que les gens qui avaient tant à apporter à la ville abandonnent leurs engagements, se replient parce qu’ils refusent de se soumettre au petit jeu d’allégeance organisée par la mairie.
Marine Tondelier
Élue d'opposition à Hénin-Beaumont
  • Prévision d’abattage inconsidéré d’arbres (heureusement  empêché par l’opposition) ;
  • Situations de malaise autour des temps de commémoration de la victoire de la Résistance et des alliés de la  France face au totalitarisme nazi et à ses alliés de Vichy lorsque le maître de cérémonie est d’extrême droite et dit des discours (de tolérance, de partage) pas du tout en lien avec ses actes ;
  • La publication d’un arrêté anti-mendicité (illégal quand il n’est pas nécessaire au maintien de l’ordre public) et une motion du Conseil municipal de septembre 2015 relative au logement très vite transformée en diatribe anti-migrants, puis en voeu contre les migrants : “L’humanisme n’est pas de droite ni de gauche, mais nous sommes confrontés chaque jour à la détresse des habitants. Je trouve incroyable que tout le monde se foute des gens qui crèvent, qui n’ont pas de logement, des mamies qui viennent pleurer dans mon bureau” dit Steeve Briois. Un an plus tard, il initie la charte “ma commune sans migrants” et propose aux élus FN de la porter dans les assemblées où ils siègent. Le jour où ce texte est soumis au conseil municipal d’Hénin-Beaumont, le maire propose à Marine Tondelier (qui attend que le public se calme) “Une petite larme ?” Lorsque le public applaudit, un adjoint ajoute, “Dehors les clandestins” (puis à la sortie du conseil “Zéros euros pour les clandos !” ;
Ces blagues sur le dos de centaines de milliers d'êtres humains qui souffrent sont abjectes, indignes d’un élu de la République.
Marine Tondelier
Élue d'opposition à Hénin-Beaumont
  • Acharnement à instaurer un délit de solidarité, à culpabiliser ceux qui se mobilisent ;
  • Madame Le Pen qui oeuvre à la dédiabolisation de son parti en faisant le tour des classes pour leur souhaiter une bonne rentrée ;
  • Non respect des lois régissant un conseil municipal (public “choisi”… ou repoussé parfois brutalement, CRS pour refouler les mécontents et service d’ordre privé au abords de la salle du conseil municipal, public venant, comme à un meeting du FN, scander les prénoms des élus du FN et huer les prises de paroles de l’opposition, micro de l’opposition coupé quand les prises de paroles sont dérangeantes, prises de paroles inconsidérée du 1er adjoint qui peut s’étendre sur la vie personnelle d’un élu de l’opposition ou sur sa supposée incompétence, maire qui perd son sang froid et modifie les règles de vote en cours de conseil, questions orales des conseillers municipaux censurées, élus de l”opposition qui ont décidé de diffuser l’intégralité des conseils municipaux pour partager les situations de non respect des règles et d’impolitesse qu’ils vivent; …) ;
  • Laïcité outrageusement violentée (crèche prévue dans la mairie) ;
  • Fonds publics utilisés sans vergogne pour faire de la ville une vitrine du parti (premières décorations de Noël post-élections aux couleurs du Front National) ;
  • Drapeaux de l’Europe enlevés ;
  • Velléités de fermer  le centre d’animation jeunesse ;
  • Journal d’information municipal qui devient journal de propagande municipale ;
  • Double jeu dans les relations avec la presse : tapis rouge déroulé pour monrer à quel point la ville a besoin de l’arrivée du Front National et, a contrario, mesures de rétorsion systématiques lorsqu’un article ne plait pas.
  • Publication à la gloire du maire : “Aujourd’hui, la ville d’Hénin-Beaumont (élus habitants, militants) souhaite un joyeux anniversaire à son maire Steeve Briois. Un maire extraordinaire au service d’une ville exceptionnelle”.
    Marine Tondelier garde le cap

    Elle rappelle de “ne pas lâcher les questions de la communication”, de “prendre à coeur les questions des documents, de la transparence”. “Pour se couvrir, la mairie dit que ça n’intéresse pas les gens !”

    Et elle philosophe : “On ne peut pas être heureux et méchant en même temps”.

    Elle tient le coup dans ce mandat où elle n’est pas respectée et constamment fustigée, constamment guettée par l’actuelle municipalité pour que les buzz médiatiques jouent contre elle.

    Les valeurs de son parti, la solidarité et le soutien de ses pairs, mais aussi le temps qu’elle consacre à un métier qu’elle aime, entourée par une famille soudée, des temps pris pour elle, et un humour à toute épreuve, l’aident à ne pas se laisser abattre et, bien au contraire,  renforcent sa détermination !

    Une dernière anecdote ?

    La municipalité d’Hénin-Beaumont n’est jamais allée rencontrer la municipalité de Loos-en-Gohelle, ville pilote du Développement Durable qui se situe à 15mn seulement de route (et qui est pourtant visitée par des délégations de l’Europe entière)…

    Il semblerait que, à Hénin-Beaumont comme dans certaines villes qui font la sourde oreille, le réchauffement climatique n’aura pas d’effet.

    Les canaux trafiqués de communication qui appellent élagage l’abattage de 50 arbres, la désinformation qui érige la floraison des ronds-points comme un point majeur du bien vivre les villes de demain, la manipulation qui fait croire que la priorité du moment est de se protéger de nos voisins : combien de temps tout ce montage tiendra-t-il pour ne pas nous faire voir que, à Hénin-Beaumont comme partout, les municipalités ont le devoir d’anticiper pour un quotidien serein de ses habitant·es ?


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