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Culture : bulles d’air et initiatives étouffées

La culture c’est ce que nous avons toutes et tous en commun, ce qui nous permet par l’émotion et le sensible, de partager et se rencontrer. Récit en trois temps de la culture à la Monnaie.

Un jour, Nadia Meziane a poussé la porte de la maison citoyenne parce qu’on lui avait dit qu’il était possible d’y apprendre à lire et à écrire. « Mes parents adoptifs en Algérie ne m’ont jamais mise à l’école. Et quand j’étais mariée, mon mari me disait ‘mais à ton âge, à quoi ça sert de retourner à l’école ? ‘ ». Depuis, elle est assidue aux trois cours de français hebdomadaires… et fière maintenant de lire seule ses courriers !

Le passage à l’écriture s’est fait dans le cadre d’un projet rêvé depuis longtemps par une salariée de la maison citoyenne : écrire une histoire à partir des témoignages de femmes : « il faudrait un prénom qui ressemble à toutes les femmes, toutes les cultures… ».

L’histoire de cette femme qui traverse la Méditerranée pour arriver en France rassemble l’histoire de toutes les femmes de l’atelier d’écriture. L’illustration du livre a été accompagnée par Valérie Dumas, illustratrice renommée qui habite tout près de chez nous. Elle a mis les femmes à l’ouvrage et fait actuellement le montage final du livre : « Au début, elle nous a donné deux feuilles, mais après si on en voulait plus, on pouvait recommencer ! », explique Nadia qui visiblement s’est fait plaisir en peignant et dessinant. Résultat dans quelques semaines : le témoignage de Nadia nous rend impatient·es de découvrir le résultat final (mi- juin) ! Et en la quittant, on se rend compte que ce ne sera pas la toute fin du projet pour Nadia : « Moi maintenant j’ai envie que quelqu’un m’aide à raconter ma vie. Petite, mes parents adoptifs m’ont exploitée et j’ai envie de l’écrire, que tout le monde sache… ». Pousser la porte d’une maison de quartier peut mener loin.

“Elle est à tout le monde, la fresque !”

Un autre projet né dans « les coulisses » de la Monnaie est celui qui a abouti à la grande fresque colorée sur le bâtiment de la médiathèque et de la ludothèque.

Mené dans le cadre de la Sauvegarde de l’Enfance en 2021, ce projet a fait participer de nombreux groupes de jeunes et moins jeunes, avec de nombreux partenaires (Archives, collectif Les Allumeur.e.s ) : « Ce n’est pas toujours les mêmes personnes qui venaient », explique un des jeunes rencontrés sur le marché. « On est allé aux Archives, on a choisi des photos, puis on nous a prêté des appareils photos et on est allés prendre notre quartier en photo. ». Les souvenirs du groupe reviennent : « Au début, les parents ont aidé à faire la première couche de peinture », « Parfois, il y a des gens qui passaient mettre un coup de pinceau et repartaient : elle est à tout le monde, la fresque ! ». Les jeunes l’utilisent souvent comme décor pour prendre des photos. Quand on leur demande ce qu’ils ont tiré de ce projet, ce qu’ils en pensent aujourd’hui, s’ils en sont fiers, ils répondent évasivement, affairés à tenir la buvette qui leur permettra de gagner quelques sous pour partir en vacances au bord de la mer cet été. L’habitude de vivre le moment présent ? Le désir de penser à la suite ? Le manque d’habitude d’être félicités ?

“ Les jeunes pourraient être les héros de la ville” 

Christophe Haleb, chorégraphe (citation ci-dessus) et Sébastien Normand, photographe (artiste auteur du poster de ce numéro) sont sensibles à cette jeunesse et continuent de grandir avec elle !

À Romans-sur-Isère ou à Valence, quand on a entre 15 et 18 ans, le courant de la vie n’est pas toujours facile à suivre. Les jeunes qu’ils ont rencontrés tout au long de l’année, au lycée Bouvet, à Terre d’Horizon, au club de MMA (arts martiaux mixtes) ou dans la rue à la Monnaie, leur ont livré leurs expériences et leurs interrogations à propos des différentes orientations qui s’ouvrent à eux dans un monde en pleine reconfiguration…

Les artistes souhaitent porter une attention bienveillante aux personnalités singulières des jeunes rencontrés, loin des clichés, et proposent d’explorer leurs rêves, d’appréhender leurs doutes, interrogations et revendications. Ils les regardent avec bienveillance, les écoutent, les considèrent, et vivent pleinement avec eux les expériences humaines que représente chaque rencontre.

Leur travail sensible consiste à cheminer avec les jeunes à travers leurs lieux (parfois délaissés, souvent périphériques) et à donner à voir leurs pratiques, en travaillant sur les représentations des corps dans l’espace public. Ainsi les artistes ont vécu une part de la pression exercée au quotidien sur ces jeunes. La police qui les surveille, le départ des éducateurs de rue, la politique de dénigrement, la stigmatisation, l’empêchement de liberté. « Tout le temps les jeunes subissent, tout le temps on les accuse… alors que les jeunes pourraient être les héros de la ville » nous confie Christophe Haleb.

Les photographies de Sébastien Normand sur cette jeunesse plurielle ont été affichées dans l’espace public à Valence et refusées à Romans. Elles ont fait un tabac au lycée Bouvet qui est « un lycée à 250 % ! Un lycée où les adultes sont des personnes ressources qui aident les jeunes à appréhender le monde ! ».

« Heureusement ces espaces comme les lycées Bouvet et Terre d’Horizons, compensent ce qu’il manque de la part de la Ville ! »

Dans la ville de Romans, la jeunesse plurielle est abandonnée, n’est pas écoutée. Il y a une forme de censure vis-à-vis de tout type de projet des jeunes et, plus généralement, vis-à-vis de tout projet un peu nouveau, un peu différent, un peu autre, comme s’il y avait une incompétence culturelle à s’ouvrir au monde.

Le rendu final du projet de Christophe Haleb et Sébastien Normand (deux films projetés le 28 juin à La Cordo, en présence du groupe qui en a fait la musique) aurait par exemple pu être central dans la programmation culturelle de la Ville, comme un hommage à la jeunesse et à un quartier qui a tant donné à Romans (cf. article “TITRE” p:4)..

« Une politique a un impact sur la qualité de vie des gens, pour les aider à utiliser leur potentialité, leur permettre de s’exprimer, d’inventer, de grandir ! ». 

À la Monnaie, la production culturelle est collective, de qualité et a, dans son ADN, le vécu des habitant·es. C’est quand elle ose prendre plus de place, rendre visible les réalités d’un quartier qu’elle est étouffée par une municipalité dont le rôle devrait être de chérir et renforcer ce commun, ces habitant·es, cette qualité de création plutôt que de faire le jeu de la droite extrême.


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